Dans le langage populaire, on dit de ma peau brune qu’elle est issue d’un mélange de noir et de blanc.
Selon cet adage, elle devrait donc être grise. Mais la loi des couleurs est bien plus complexe. En m’appuyant sur la science de la colorimétrie, j’ai constaté que la couleur brune ou marron est composée d’une multitude de teintes. Elle est en effet obtenue de différentes façons : en mélangeant du violet et du jaune ; du jaune, du bleu et du rouge ; du orange et du bleu ; du vert et du rouge ; du bleu, du vert foncé, du rouge, du noir, du jaune. En fonction du dosage de chaque couleur, le résultat est plus clair ou plus sombre : ambre, bistre, brique, cachou, cannelle, caramel, châtaigne, chocolat, fauve, feuille-morte, mordoré, noisette, rouille, senois, sépia, terre d’ombre, terre de Sienne et j’en passe !C’est dire la panoplie des possibles existant à l’origine du brun ou du marron.
Ainsi, ni tout à fait noire, ni tout à fait blanche, ma couleur de peau pourrait sembler condamnée à errer dans la fameuse « zone grise », si difficile à déchiffrer pour le cerveau humain.
Toutefois, il m’est pénible de la savoir dans cette zone de vide existentiel et d’errance identitaire. J’ai donc voulu m’essayer au jeu des couleurs afin de m’extraire de cette nébuleuse et de dépasser la dualité conflictuelle inscrite au cœur de mon être. Alors équipée de ma boussole intérieure, j’ai navigué sans détour dans le labyrinthe infini des couleurs, jusqu’à la fameuse porte d’entrée de mon intériorité. Dressée sur le palier de mon foyer, j’ai regardé à l’intérieur, pour mieux contempler mon extérieur. Grâce à mes yeux d’enfant amusée, j’ai vu clair dans le miroir car aucun filtre ne me séparait de mon âme. J’ai choisi une teinte unique et singulière : la couleur arc-en-ciel. Oui, arc-en-ciel, car elle réunit à elle seule le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le bleu, l’indigo et le violet. L’arc-en-ciel arrose le monde de couleurs, le pare de splendeur. Sa magie m’émerveille. Sa forme évoque le pont, la passerelle. Il porte en lui les germes de la réunification et de la réconciliation entre les êtres humains, entre les peuples, car il symbolise l’union des « opposés complémentaires ».
Oui, l’arc-en-ciel est le symbole des « opposés complémentaires », dans un monde divisé et ségrégué entre le noir d’un côté et le blanc de l’autre. Toutefois, étant donné que « personne n’est réellement blanc ou noir »[1], que l’apparence chromatique de chacun est singulière et constituée d’une variété de teintes et de nuances, en d’autres termes que nous sommes tous multicolores, l’arc-en-ciel représente avant tout l’emblème unificateur d’un Universel partagé. Il est à la source du vivre ensemble, d’une culture de la paix et au cœur des fondations de la « Beauté Monde »[2].
Puissions-nous, « Noirs », « Blancs », « Jaunes », « Rouges », unir nos couleurs une fois pour toute et ensemble, vibrer sur l’onde Arc-en-ciel de l’Universel.
Dans cet engouement partisan, j’ai souhaité approfondir la réflexion sur l’histoire du « mélange » qui est le mien tout en la mettant en lumière par rapport au contexte dans lequel j’ai grandi et évolué. La cartographie que j’ai retracée est la suivante : le crayon aux mille couleurs ayant dessiné les contours de mon métissage se nomme Amour. Oui, je suis le fruit d’un mélange aussi exquis qu’atypique, d’une alliance entre deux continents, l’Europe et l’Afrique, entre deux pays, la Suisse et l’Angola, mais surtout entre deux personnes qui se sont aimées si puissamment qu’elles ont choisi de s’unir et de marier leurs peaux différentes et pourtant incolores à leurs yeux. Parce que leur peau n’avait pas de couleur dans leur regard, elle n’a jamais été un sujet de discussion digne d’intérêt. Mes parents incarnent à merveille la maxime poétique d’Antoine de Saint-Exupéry, qui dit que « l’on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ». L’histoire de mon métissage est donc celui d’un Amour inconditionnel fondé exclusivement sur la Rencontre et le Partage.
Amour inconditionnel. Deux mots étant à l’origine de bien des miracles. Deux mots permettant de tisser des liens entre les êtres vivants, au-delà de leur forme, de leur apparence, de leur origine, de leur religion, de leur âge, de leur sexe, de leur statut social. Deux mots capables de faire fi des petits codes et des grandes conventions, de briser les chaînes du « il faut » et du « on dit ». Deux mots puissants permettant d’abolir les barrières face à l’Autre et de cultiver les différences, d’enfanter des mélanges exquis et de les célébrer dans leur entière pureté.
Puissions-nous, femmes et hommes que nous sommes, ôter le voile de l’ignorance qui aveugle et étouffe nos cœurs afin de percevoir l’Autre dans son essence-ciel.
--------------------------------------- [1] Angélica Dass, photographe, in « What kids should know about race » TED Talk à visionner sur le site internet suivant : https://www.ted.com/talks/angelica_dass_what_kids_should_know_about_race. Je vous invite à découvrir son magnifique projet « Humanae », qui consiste à attribuer et associer à chaque personne qu’elle photographie, une couleur du nuancier PANTONE®. Un projet qui met en lumière l’immense diversité des teintes et des nuances de la peau des êtres humains. Voir le lien suivant : https://www.angelicadass.com/humanae-project. [2] Je conçois la « Beauté Monde » comme un espace au sein duquel les individus cheminent vers l’harmonisation de leur beauté intérieure et extérieure afin de vibrer sur la fréquence de la beauté universelle ; fréquence créant du lien entre tous les êtres vivants et les peuples du monde.
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